L’insertion des jeunes sur le marché du travail est une problématique qui occupe tous les esprits. Et si les jeunes s’inséraient sur le marché du travail en devenant entrepreneurs sociaux au service de populations de quartiers plus défavorisés ? Cette idée répond aux enjeux d’empowerment et d’autonomisation citoyenne des jeunes et personnes en difficultés. C’est une opportunité – véritable innovateur social – qui permet à un public défavorisé de se former à la programmation informatique. C’est une initiative avant-gardiste qui propose, selon les modèles américains comme les Y combinators, des formations de six mois à des promotions de 24 personnes : chômeurs longue durée, titulaires du RSA ou porteurs de projets relevant de l’innovation sociale.

SIMPLON ou la fabrique sociale d’informaticiens ingénieux

Diplômé de Science Po Toulouse et de Saint-Cyr, Frédéric Bardeau lance, en avril 2013, l’école Simplon.co, une start-up lancée sous l’impulsion d’étudiants du Celsa à qui ils dispensait des cours. Son idée novatrice ? Allier l’exclusion sociale aux grands chantiers du numérique. Entrepreneur atypique, il prend pour modèle des ingénieurs d’écoles de commerce et d’informatique, et s’appuie sur des subventions de fonds publics et un mécénat aguerri pour modeler des profils spécifiques. Jeunes éloignés du marché de l’emploi, personnes en situation de handicap, seniors,… Son objectif est de les faire devenir, par le biais de formations accélérées et interactives, des développeurs, chefs de projet, webmasters pertinents, ambitieux et possédant des compétences recherchées sur le marché du travail. Soucieux de respecter la parité dans un milieu à dominante plutôt masculine, il arrive depuis 2013 (date du lancement de cette entreprise sociétale au label de « l’économie sociale et solidaire » nichée dans une ancienne usine désaffectée de ballons de baudruches), à porter sur fonds propres les premières promotions de la génération X. Passionné par les anonymous, auxquels il consacre un ouvrage en pleine mouvance de l’affaire Wikileaks, il innove et suscite l’enthousiasme avec ce nouveau modèle socio-économique. Il développe les premiers « hackathons » (concours de code à vitesse marathon, en un temps limité) du numérique qui feront de plus en plus d’émules et seront déclinés dans d’autres domaines d’activités.
Inspirant parce que particulièrement courageux, ce projet repousse les limites de son milieu et innove sur le plan social. A une époque ou le profit domine pour faire survivre une structure, Frédéric Bardeau a misé sur un facteur risque pour monter une école avec des personnalités éloignées des schémas classiques usuels pédagogiques, en les réinsérant par le biais de formations adaptées, leur permettant de s’affranchir des codes du numérique. Personnalité empathique, connaissant le milieu des ONG, il saisit très vite l’intérêt de mettre le code, le développement informatique à la portée de tous. Il écrira d’ailleurs un livre : Lire, écrire, compter, coder, et s’inspire des Boot Camps, ces camps de formations accélérées du code qui ont sont nés à San Francisco dans les années 2000.

L’Entrepreneuriat solidaire : le nouvel eldorado de demain ?

Peut-on s’inspirer de ce modèle pour trouver une alternative aux écoles élitistes telles que les écoles d’ingénieurs – les systèmes universitaires et éducatifs français étant en eux-même très élitistes ? Peut-on généraliser ce modèle en l’indexant sur le système général afin de fédérer autour d’un moteur d’actualité des personnes en décrochage ou éloignés de l’emploi ? Telles sont les questions que pose ce projet. Bien souvent, les cursus traditionnels et post-baccalauréat laissent bon nombre d’étudiants « hors course » (cette année, le nombre d’étudiants recalés d’APB a augmenté). Quand l’orientation usuelle fait défaut, les élèves sont alors en situation de « recalés », titulaires du baccalauréat seuls ceux qui sont boursiers ou ont les moyens financiers peuvent se retourner vers une alternative dans le privé. Mais certains n’ont aucun moyen de poursuivre leurs études. Ce type de formation peut permettre à des jeunes familiarisés avec l’outil numérique et internet de trouver une vocation. Mais peut-on transposer ce modèle économique purement dédié au digital à des formations plus classiques, et de quelle manière ? Cela permettrait de créer des « écoles tremplin », avec des spécialisations et des diplômes qualifiants, permettant par des biais plus en marge de parvenir à des métiers gratifiants. Peut-on, par exemple, retranscrire ce modèle à l’étude du droit et peut-on acquérir les bases du droit sans rentrer en faculté, pour atteindre des professions en relation avec des hautes instances juridiques ? Les mêmes questions se posent pour le notariat ou les professions médicales. Doit-on forcément passer par un si long cursus d’études pour atteindre toutes les compétences de ces métiers ? Ne pourrait-on pas trouver un système similaire qui permettrait à des personnes ne pouvant pas se permettre de consacrer des années à se former sans gagner leur vie d’atteindre ce type de professions – ou cette idée demeure-t-elle utopique ?

Ce type d’entrepreneuriat exige également de s’allier avec une entreprise dotée du label « entreprise sociale et solidaire » et respectant les critères d’engagements politiques, financiers, stratégiques lui correspondant. Le premier critère est de recruter des gens en insertion. Le deuxième est d’encadrer l’échelle de salaires entre un et six fois le SMIC. De même, le troisième critère est de ne jamais être côté en bourse et de reverser l’intégralité de ses revenus non pas à des actionnaires mais en réinjection dans le fonctionnement de l’entreprise. Enfin, le quatrième et dernier critère est d’avoir une gouvernance de type démocratique.

Frédéric Bardeau, le visionnaire solidaire des nouveaux métiers du digital, va-t-il faire des émules ?

L’entrepreneuriat solidaire est la plus belle alternative pour recentrer l’humain sur de vraies valeurs d’empathie, de bienveillance et de cohésion. Notre force de demain ne repose-t-elle pas sur la synergie des talents de chacun ? Doit-on priver des personnes en difficulté d’un savoir alors qu’elles peuvent l’acquérir d’une autre manière ? Notre système social et démocratique ne doit pas comporter de clivages. Or, la contextualisation même de notre système économique nous renvoie à cette dissension. L’inégalité des chances est sous-jacente à notre système. Le paramètre financier est déterminant pour la poursuite ou non des études supérieures : le principe de Simplon.co est exemplaire dans la mesure où l’implication de ces personnes sur des métiers plutôt dédiés à l’ingénierie permet à des jeunes ou moins jeunes issus de milieux défavorisés d’apprendre les bases de ces métiers tout en étant en partie subventionnés et leur donne même parfois la fibre de la start-up. Le volontariat et l’implication sont donc une donne incontournable dans ce schéma d’études. Cela nous permet de recentrer également les champs des possibles vers des personnes ayant des rêves et des projets mais, au sein du système actuel, peu de moyens pour les atteindre.

Article rédigé par Nathalie DREAN